L'Esprit dans la Machine : La Succession LeWitt peut-elle tokeniser l'art conceptuel ?

L'Annonce : L'instruction comme actif

Le 16 novembre 2025 restera-t-il dans les annales de l'histoire de l'art ? Ce matin, le communiqué conjoint de la Succession Sol LeWitt et du Centre Pompidou, orchestré avec le géant de l'art génératif ArtBlocks, a détaillé un projet d'une ambition folle : "Digital Wall Drawings".

Il faut être clair : il ne s'agit pas de JPEGs de ses célèbres œuvres murales. Le projet va bien plus loin en tokenisant ce qui fait l'essence de LeWitt : l'idée. Chaque NFT est un "smart contract" (contrat intelligent) qui contient les instructions textuelles originales, rédigées par l'artiste, pour une œuvre murale qui n'a jamais été réalisée de son vivant.

L'acquéreur n'achète pas une image, mais bien l'auctorialité de l'instruction, ainsi qu'une unique "génération" numérique de cette instruction, exécutée par un algorithme. La Succession insiste sur le fait que les instructions elles-mêmes sont stockées "on-chain", c'est-à-dire inscrites de manière immuable dans la blockchain, garantissant leur pérennité. Le Centre Pompidou, de son côté, a joué un rôle curatorial majeur dans la sélection de ces instructions inédites, issues des archives de l'artiste.

La Thèse : La machine logique

Pour les défenseurs du projet, cette évolution est la continuation naturelle de la philosophie de LeWitt. "Sol LeWitt a déclaré : 'L'idée devient une machine qui fait l'art'", nous confiait ce matin un porte-parole de la Succession. "Le smart contract est simplement l'incarnation la plus pure et la plus logique de cette 'machine' à l'ère numérique. L'instruction est l'œuvre, et la blockchain est le certificat le plus robuste jamais conçu pour elle."

Même son de cloche au Centre Pompidou, où le curateur principal du projet voit cette collaboration comme une évidence. "La pratique de LeWitt interrogeait la dématérialisation de l'œuvre et la primauté du concept sur l'exécution. En tokenisant l'instruction, nous ne faisons que respecter cette volonté, en utilisant les outils de notre temps pour la diffuser et la préserver."

L'Antithèse : La trahison de l'esprit

Mais cette "logique" ne convainc pas tout le monde, et les critiques ont été immédiates. Des voix influentes du monde de l'art conceptuel, notamment proches de fondations comme la Dia Art Foundation, crient à la trahison.

"C'est un contresens total", nous glisse un historien de l'art qui a souhaité rester anonyme. "LeWitt vendait des certificats papier pour une bouchée de pain, non pas comme un acte de propriété, mais comme un simple véhicule pour l'idée. L'exécution était un acte de collaboration, souvent communautaire. Plonger ces instructions dans un marché hyper-spéculatif, volatile et public, c'est dénaturer l'esprit même de l'œuvre. C'est remplacer l'intention conceptuelle par la cupidité financière."

La critique porte sur la nature même du NFT : un outil de rareté et de spéculation appliqué à une œuvre qui se voulait, par essence, reproductible et conceptuellement "ouverte".

Le Contexte : La validation par le marché

Au-delà du débat philosophique, la réalité économique a déjà frappé. Depuis l'ouverture de la vente ce matin sur ArtBlocks, l'effervescence est palpable. À l'heure où nous écrivons ces lignes, les premières instructions s'arrachent à des prix dépassant plusieurs dizaines d'ETH (Ethereum), plaçant d'emblée ces "idées" numériques au niveau des œuvres physiques établies de l'artiste.

La question qui se pose est celle des acheteurs : s'agit-il des collectionneurs d'art contemporain traditionnels qui voient là une nouvelle "cote" pour l'art conceptuel ? Ou des "crypto-collectionneurs" natifs, plus intéressés par la pureté mécanique du smart contract que par l'héritage de LeWitt ?

Ce "drop" force une confrontation inévitable. En cherchant à sanctuariser l'idée dans la blockchain, la Succession LeWitt a peut-être involontairement ouvert la boîte de Pandore. L'esprit immatériel de l'artiste peut-il survivre à sa nouvelle machine, ou celle-ci finira-t-elle par le dévorer ? Le débat ne fait que commencer.

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