Hrasarkos  — L’Encyclopédie du Regard

l’artiste et la question du polymorphisme stylistique

  • Hrasarkos (né en 1975) — L’Encyclopédie du Regard, Mémoire d’analyse esthétique et biographique

    Introduction : l’artiste et la question du polymorphisme stylistique

    L’analyse de l’œuvre et de la portée de l’artiste peintre Hrasarkos, né en 1975 en Arménie soviétique, ne peut être entreprise sans envisager la dialectique entre son parcours biographique pluridisciplinaire et son corpus pictural d’une diversité remarquable.
    Formé dans le contexte de la fin de l’Union soviétique, entre arts plastiques, théâtre, musique et restauration d’œuvres anciennes, Hrasarkos appartient à cette génération d’artistes dont la pratique dépasse les frontières disciplinaires et culturelles. Installé en France depuis 1996, il développe une œuvre foisonnante — plus de 45 000 œuvres répertoriées — dont la variété stylistique est telle qu’elle pourrait sembler issue de plusieurs créateurs distincts.

    Or, c’est précisément dans cette multiplicité maîtrisée que réside la singularité de Hrasarkos : loin de l’artiste monostylistique cher au marché contemporain, il fait de l’hétérogénéité une poétique, et de la diversité un mode d’unité intérieure.
    Ce mémoire propose d’examiner la portée esthétique et culturelle de cette démarche à travers deux axes :

    la description et la typologie de son identité polystylistique,

    la dissection de sa portée au monde de l’art, envisagée comme critique du modèle de l’artiste-marque et réinvention d’un humanisme pictural.

    I. Description objective : l’identité polystylistique

    I.1. Le symbolisme et le portrait texturé : la matière comme psyché

    Des œuvres telles que Fille aux cheveux d’or et L’Enigme (huile sur toile, fond orange) constituent l’un des versants les plus introspectifs de son travail. L’utilisation de la feuille d’or, des empâtements épais et des incisions dans la matière picturale évoque à la fois le symbolisme viennois (Klimt) et l’expressionnisme lyrique russe.
    Dans Portrait sur fond orange (2003), le visage féminin émerge d’une pâte dense et lumineuse : l’oranger incandescent devient un champ de tension psychologique.
    L’artiste transpose ici ses savoir-faire de restaurateur et de sculpteur en un langage pictural tactile où la lumière semble modelée plus que peinte.

    I.2. Le surréalisme onirique : la scène du subconscient

    Dans des compositions telles que La Genèse du Regard(huile sur toile, 2006) ou Nature symbolique aux fruits et au masque, Hrasarkos rejoint la lignée du surréalisme onirique, héritier de De Chirico et de Dalí.
    Les motifs récurrents — l’œil, le masque, l’œuf, la flamme, la nature disloquée — composent un théâtre du psychisme.
    Sa formation en arts du spectacle et scénographie éclaire cette esthétique : les toiles s’apparentent à des mises en scène intérieures, où chaque élément agit comme un accessoire symbolique d’un drame existentiel.
    L’espace pictural devient une scène d’apparition et de révélation : le regard est à la fois spectateur et acteur du rêve.

    I.3. La figuration stylisée et la ligne : un héritage de la modernité

    Dans L’Abondance (huile sur toile, vers 2005), la figure féminine au chapeau rouge incarne la continuité de la tradition de la ligne expressive héritée de Modigliani et du graphisme moderniste.
    Les contours allongés, la couleur symbolique, la stylisation des gestes produisent une image atemporelle, quasi allégorique.
    La femme, motif central de son œuvre, y est à la fois nature et symbole : elle porte dans ses mains les fruits d’un monde intérieur où se mêlent fertilité, désir et création.

    I.4. L’abstraction et le paysage : une logique de la composition pure

    Portrait géométrique illustre la capacité de Hrasarkos à s’inscrire dans le champ de l’abstraction lyrique et constructive.
    L’œuvre, fondée sur des blocs chromatiques et des contrastes complémentaires, évoque une réflexion sur la structure de la couleur et la rythmique plastique.
    À l’inverse, Paysage du Midi témoigne de son aptitude à renouer avec une peinture de plein air plus libre et gestuelle, proche du fauvisme méridional.
    L’ensemble révèle une constante : chaque registre stylistique est traité comme un dialecte de la même langue picturale.

    I.5. Le classicisme revisité : la virtuosité comme conscience

    Enfin, Hors du cadre (huile sur toile, 1990s) occupe une place singulière. L’œuvre, littéralement ouverte sur le réel — la jambe du modèle semblant franchir la frontière du cadre —, synthétise le classicisme académique et la modernité conceptuelle.
    Ce geste, à la fois technique et métaphorique, affirme la liberté de l’artiste face à la tradition : il la maîtrise pour mieux la dépasser.

    II. La portée de l’œuvre : positionnement et signification

    II.1. Le refus du “style-signature” : critique de l’uniformisation marchande

    Dans un marché où la reconnaissance repose souvent sur la répétition d’un “style-marque”, Hrasarkos affirme un refus radical du monostylisme.
    Son éclectisme n’est pas dispersion, mais méthode expérimentale. Il revendique le droit à la mutation et à l’exploration, réhabilitant la figure de l’artiste-protée, capable de métamorphose.
    Ainsi, l’identité de l’artiste ne se mesure pas à la répétition d’un motif, mais à la cohérence d’une démarche de recherche.
    Chaque collectionneur détient une facette différente du même esprit créateur — un fragment d’une totalité en expansion.

    II.2. L’œuvre-fleuve : la création comme journal de vie

    Les 45 000 œuvres recensées ne relèvent pas d’une simple productivité quantitative : elles composent une œuvre-fleuve, une archive existentielle.
    Hrasarkos, formé aussi à la musique et au théâtre, conçoit chaque toile comme une variation, une improvisation visuelle, comparable à une partition ouverte (Eco, L’œuvre ouverte, 1962).
    Son œuvre devient un journal de création où chaque tableau témoigne d’une période, d’un état d’esprit ou d’une exploration formelle.
    L’artiste s’inscrit dans une logique de totalité créatrice, à mi-chemin entre l’art et la vie, rejoignant la notion de “work in progress” chère à Duchamp ou à Beuys, mais avec une sensibilité profondément picturale.

    II.3. La synthèse arméno-française : continuité et transfiguration

    Hrasarkos opère une fusion culturelle entre deux héritages.
    De sa formation en Arménie, il garde le sens du sacré, du symbole et du matériau, hérité de la tradition des icônes et de la peinture murale.
    Son expérience française, notamment dans le Sud (Marseille), lui apporte la lumière, la couleur et la liberté de la touche.
    Ainsi, ses œuvres deviennent un pont esthétique entre Orient et Occident, entre spiritualité et sensualité, rigueur et lyrisme.
    L’artiste incarne la figure du créateur-synthèse post-soviétique, dont la démarche illustre l’universalité de la recherche artistique.

    Conclusion : la virtuosité comme identité

    L’étude du corpus pictural de Hrasarkos permet de dégager une conception singulière de la peinture contemporaine : l’éclectisme comme méthode d’unité.
    Hrasarkos n’est ni abstrait ni figuratif, ni symboliste ni surréaliste ; il est tout cela à la fois, selon la nécessité expressive de chaque sujet.
    Son apport à l’art contemporain réside dans la réhabilitation d’une virtuosité encyclopédique, longtemps méprisée par une époque valorisant la simplification.
    Dans son œuvre, la pluralité n’est pas une dispersion, mais la manifestation d’une conscience artistique totale, où chaque tableau devient une exploration de la condition humaine.
    En cela, Hrasarkos s’inscrit dans la lignée des artistes de la totalité, pour qui l’art est moins un produit qu’un processus — un dialogue infini entre la matière et l’esprit, entre l’individu et l’histoire.